La Bernache du Canada ou Outarde

photo d'une Bernache du Canada

L'attrait de la Bernache du Canada Branta canadensis, mieux connue au Québec sous le nom d'Outarde, est légendaire. Le spectacle de ces oiseaux qui fendent le ciel au printemps ou à l'automne dans de longues formations imitant plus ou moins un "V", en poussant leur cri particulier, est fascinant. Leurs migrations constituent l'un des principaux présages du changement de saisons au Canada.

Il y a peu d'espèces d'oiseaux sur le continent nord-américain qui aient une aire de répartition aussi vaste et dont le grand nombre de populations ou de sous-espèces offrent autant d'occasions d'explorer les mystères de la biologie des oiseaux.

Variétés et aire de répartition

Nombre de Canadiens reconnaissent la Bernache à sa tête, à son vertex et à son long cou noirs, ainsi qu'aux taches blanchâtres de ses joues. Toutefois, cet oiseau compte probablement plus d'une quarantaine de sous-espèces, de sorte qu'il peut être très différent d'une région à l'autre du Canada.

Les différentes sous-espèces de Bernaches du Canada vont des plus grandes, à la voix grave, aux plus petites, à la voix aiguë et caquetante. Leur poids varie de 1,1 à 8kg et leur envergure de 90cm à 2m. La couleur des parties inférieures va du gris-perle pâle au noisette et même au brun noirâtre. Les diverses sous-espèces se distinguent aussi par les proportions de leur corps, notamment par la longueur relative de leur cou ainsi que par leur conformation et leur posture particulières. En général, plus un oiseau est gros, plus son cou est long et son corps allongé. Ainsi, les plus petites sous-espèces ont le cou très court et le corps compact et massif. Toutefois, toutes les bernaches ont des taches blanchâtres sur les joues, ainsi que la tête, le vertex et le cou de couleur noire.

L'aire de reproduction de la Bernache du Canada s'étend du Yukon à Terre-Neuve, du sud de l'île de Victoria et de l'île de Baffin jusqu'à la frontière américaine dans l'Ouest, et jusqu'en Ontario et au Québec dans l'Est. En été, cet oiseau ne séjourne habituellement pas dans les trois provinces Maritimes. Un nombre de plus en plus grand de Bernaches du Canada hivernent en Colombie-Britannique et dans les provinces de l'Atlantique, mais la grande majorité se rend beaucoup plus au sud des États-Unis, ou même dans le nord-est du Mexique.

Cette vaste aire de répartition est très fragmentée, chaque sous-espèce ayant son propre habitat. Les aires de reproduction des différentes sous-espèces sont séparées par des frontières naturelles bien déterminées : hautes montagnes, glaciers, déserts, forêts denses et contrées rocheuses, impropres à la nidification. Les aires d'hivernage sont plus difficiles à distinguer, surtout parce qu'elles changent continuellement.

Rapport entre la taille et la répartition

La répartition, la taille et le cycle vital des diverses sous-espèces de bernaches sont fonction du climat de leur aire de reproduction. À titre d'exemple, la Grande Bernache du Canada, soit l'espèce des Grandes Plaines et de la vallée du Mississipi, a une période d'incubation de 28 à 30 jours; il lui faut de 70 à 80 jours pour élever ses petits; et sa période de mue et de renouvellement des rémiges, à l'état adulte, est d'environ 40 jours. Dans le cas de la plus petite sous-espèce, la Bernache caqueteuse, ces stades durent 25, 42 et 24 jours, respectivement. Dans le Grand Nord, la nidification, l'élevage des petits et la mue doivent se dérouler en un temps beaucoup plus court, entre le dégel printanier et le gel hivernal. Il s'ensuit que plus le climat de l'aire de reproduction est rigoureux, plus les sous-espèces sont petites et plus les périodes de reproduction et de mue sont courtes.

C'est la Grande Bernache du Canada, la sous-espèce dont l'aire de reproduction est le plus au sud, qui a la migration la plus courte. Bon nombre de populations du Nord hivernent dans les parties centrales des Grandes Plaines aussi longtemps qu'elles peuvent y trouver des cours d'eau alimentés par des sources et de la nourriture. Quelques populations de plus petites sous-espèces, qui nichent dans l'est et le centre de l'Arctique canadien, vont hiverner jusque dans le sud des États-Unis et même jusque dans le nord-est du Mexique. Cette migration de type "saute-mouton" se retrouve chez beaucoup d'autres espèces d'oiseaux, mais aucune autre ne présente des différences aussi marquées de taille et de couleur.

De façon générale, on peut connaître les habitudes de la Bernache du Canada en observant le comportement des populations qui nichent dans la région de la baie d'Hudson et qui hivernent dans la vallée du Mississipi.

Migration printanière

Chaque printemps, la Bernache du Canada va nicher dans le Nord, dans la vaste tourbière arborée (muskeg) du nord de l'Ontario qui longe la côte ouest de la baie James et la côte sud de la baie d'Hudson. Elle y arrive à la fin d'avril, soit plusieurs mois avant le dégel des principales rivières. Souvent, il y a encore, à ce moment-là, beaucoup de neige dans les bois.

En attendant que la neige et la glace disparaissent de la zone intérieure du muskeg où elles ont l'habitude de faire leurs nids, les premières bernaches se déplacent de clairière en clairière le long des rivières. Elles se nourrissent, dans les zones libres de neige, de carex et de baies qui restent de l'automne précédent.

Les Bernaches du Canada sont des oiseaux d'une remarquable endurance. Grâce à la couche de graisse qu'elles acquièrent pendant les premières phases de leur migration, elles peuvent facilement résister à de longues périodes de froid rigoureux. Dans le Nord, le printemps est une saison changeante. Souvent des tempêtes de neige tardives forcent les premières volées de bernaches à retourner plusieurs fois vers le sud, avant qu'elles puissent finalement s'installer dans leurs aires de reproduction.

Aire de reproduction

Il est presque impossible pour un homme de se rendre à pied dans le grand muskeg, l'aire de reproduction de la Bernache du Canada. Les géographes le désignent sous le nom de "basses terres de la baie d'Hudson". Constitué en grande partie par une plaine détrempée, le grand muskeg a une superficie de 325,000 km² et sonaltitude atteint seulement quelques pieds au-dessus du niveau de la mer. Il comprend tantôt des peuplements épars d'épinettes rabougries et de mélèzes, et tantôt de vastes étendues de tourbières et de lacs en marmite. Comme ses nappes d'eau sont fréquemment couvertes de tapis flottants de carex et d'herbes, son aspect est souvent trompeur et les Indiens Cris, qui habitent la région, doivent s'avancer avec précaution afin de ne pas s'enfoncer jusqu'aux hanches dans l'eau froide. Les bernaches ne s'installent pas n'importe où dans le muskeg; elles préfèrent les groupes de lacs en marmite, dans lesquels se trouvent une ou plusieurs petites îles.

La plupart des nids sont situés dans les îles ou les îlots, souvent à proximité de forêts et habituellement très proches de l'eau. Toutefois, dans certaines régions, les nids peuvent être situés dans les plaines de muskeg garnies de carex et d'herbes, à une bonne distance d'un étang ou d'un lac important.

Nidification

Quand les bernaches atteignent leurs aires de reproduction dans le Nord au début du printemps, la nourriture s'y fait rare. Elles peuvent survivre en s'alimentant très peu et les femelles produisent leurs oeufs principalement grâce aux réserves qu'elles ont accumulées dans leurs tissus avant d'arriver dans le Nord. La couvée compte habituellement de cinq à sept oeufs, les oiseaux plus âgés ayant une couvée plus importante que ceux qui pondent pour la première fois.

La femelle couve ses oeufs pendant 28 jours, tandis que son compagnon assure la garde à proximité. Dans la région du muskeg du nord de l'Ontario, le mâle se tient souvent à plusieurs centaines de mètres du nid. Pendant la couvaison, la femelle ne quitte le nid que pendant de courts moments, pour aller se nourrir chaque jour.

Le succès des nichées dépend des conditions atmosphériques au début de la ponte et au moment de l'éclosion. Il peut aussi dépendre des changements de comportement liés à la densité de la population. Lorsque les bernaches sont nombreuses, la proportion de celles qui réussissent à nicher est plus petite.

Migration tardive à l'été et à l'automne

Peu de temps après l'éclosion des petits, les familles quittent l'aire de reproduction et couvrent des distances étonnamment grandes en quelques jours. Les adultes ne peuvent plus voler pendant trois à quatre semaines car ils sont en période de mue et leur rémiges ne font que commencer à repousser. Les oiseaux qui se sont installés loin à l'intérieur de la région du muskeg errent d'un lac à l'autre, se nourrissant d'herbes et de carex qu'ils trouvent en traversant des tapis flotants. Ceux qui ont niché près du littoral descendent souvent les rivières afin de trouver des marécages côtiers offrant plus d'avantages et des zones de toundra riches en ressources alimentaires. Lorsque ces bernaches rencontrent des rapides, elles se déplacent au sol jusqu'à la prochaine nappe d'eau calme.

Un couple et sa couvée constituent un groupe presque inséparable, qui agit à l'unisson. En général, la femelle ouvre la marche, suivie des petits et de son compagnon. Lorsqu'une autre famille de bernaches s'aventure trop près, les parents et les petits adoptent des postures d'intimidation et font beaucoup de bruit. Lors de telles confrontations, la victoire peut être prévue avec un fort degré de certitude. En effet, dans les rencontres entre deux familles, l'importance numérique semble être le facteur déterminant, indépendamment de la taille et du poids des adversaires en présence. Une famille nombreuse l'emporte presque toujours sur les familles de moindre importance, lesquelles l'emportent sur les couples qui n'ont pas de petits. La plupart des confrontations sont réglées sans qu'il y ait de contact physique et les luttes prolongées sont rares.

Au début d'août, toute l'unité familiale est prête à s'envoler. Certaines familles demeurent à l'intérieur des terres, alors que d'autres se dirigent vers les rives des baies d'Hudson et James, où elles se nourrissent de baies et acccumulent une couche de graisse avant d'émigrer vers le Sud. Des dizaines de milliers d'Oies des neiges qui ont niché dans l'Arctique vont les rejoindre à cet endroit.

Certaines Bernaches du Canada s'attardent sur les rives des baies d'Hudson et James jusqu'au début d'octobre, puis, tout à coup, elles partent en l'espace de quelques jours. Celles qui se trouvent le long de la baie James suivent le littoral, en direction sud. Les bernaches des terres intérieures, quant à elles, suivent les rivières coulant du nord vers le sud. En quelques jours, ces oiseaux regagnent leur habitat d'automne et d'hiver.

Recherche et conservation

Le baguage, c'est-à-dire la pose d'un anneau d'aluminium numéroté à la patte d'un oiseau, constitue l'un des principaux outils dans la recherche sur les oiseaux aquatiques. Les bagues retournées par les chasseurs permettent de conclure que les migrations des Bernaches du Canada, à la différence de celles des canards, se font suivant un nombre limité de voies migratoires qui, chaque année, amènent invariablement ces oiseaux vers les mêmes territoires d'hivernage et de reproduction. Ainsi, quand une population d'une voie migratoire est gravement décimée, on ne peut compter sur un apport d'oiseaux d'autres régions pour compenser les pertes subies sans détruire, en même temps, ses éléments distinctifs.

Les populations de Bernaches du Canada qui nichent plus ou moins continuellement à l'intérieur des terres, depuis les côtes des baies d'Hudson et James et depuis Churchill, dans le nord-ouest, jusqu'à la presqu'île de l'Ungava, dans la partie nord-est de la baie d'Hudson, empruntent quatre voies migratoires différentes. Elles hivernent depuis les côtes de la Virginie et de la Caroline du Nord jusque dans les États du Sud à l'ouest de l'Illinois et dans la partie nord-centre du Missouri.

Dans un monde où de nombreuses espècces sont menacées par l'activité humaine, les Bernaches du Canada sont une heureuse exception, bien que l'identité et espèces même l'existence de certaines petites populations insulaires soient loin d'être assurées. L'ensemble de l'espèce a prospéré au cours des 30 dernières années. En 1950, on comptait au total peut-être un million de Bernaches du Canada et en 1965, on en a dénombré 1,5 million. Aujourd'hui, on en compte autant dans l'est du Canada seulement, et la population continentale, avant l'ouverture de la chasse en septembre, est probablement supérieure à 5 millions.

Les Bernaches du Canada doivent leur prospérité en partie grâce aux programmes de conservation (particulièrement à l'ensemble des refuges gérés par les divers paliers du gouvernement américain), à une bonne réglementation de la chasse et à leur réintégration dans les parties sud de leurs anciennes aires de reproduction, depuis la Pennsylvanie, l'État de New York et l'Ontario vers l'ouest, jusqu'au sud de l'Alberta. Elles ont probablement profité davantage des techniques agricoles modernes avec de grands champs, l'utilisation abondante d'engrais, l'introduction de variétés de graminées, de maïs et de céréales résistantes et à rendement élevé et la perte de graines due à la récolte mécanique. Ce qui a été une catastrophe pour beaucoup d'autres oiseaux a représenté, pour les bernaches, une excellente occasion de connaître un essor et une expansion considérables de leur population.

Les populations de Bernaches du Canada ont connu un tel essor qu'aujourd'hui, cette espèce est source de problèmes dans certaines régions urbaines. La protection ou les ressources alimentaires qu'offrent les parcs, les milieux humides à proximité des banlieues, les pelouses et les terrains de golf leur sont favorables. Comme la chasse est interdite dans ces zones, très peu de facteurs y limitent la multiplication et la concentration de ces oiseaux. Les populations urbaines de Bernaches du Canada et de Canards colverts sont encore en expansion et la surabondance de ces oiseaux continuera de causer des problèmes durant la prochaine décennie.

L'histoire de la Bernache du Canada au cours de notre siècle reflète le succès et les dilemmes de la gestion de la sauvagine en Amérique du Nord. Elle démontre qu'il est possible de gérer cette ressource de façon à satisfaire l'ensemble des personnes qui en profitent : celles qui pratiquent la chasse sportive ou de subsistance, les naturalistes amateurs, les photographes et toutes celles qui aiment simplement entendre le cri des bernaches annonçant la nouvelle saison. Bien qu'il subsiste certains problèmes relativement à la gestion de la Bernache du Canada, les résultats obtenus avec cette espèce représentent l'une des plus belles réussites en matière de gestion de la faune à ce jour.

Ouvrages à consulter

  • Godfrey, W.E. 1989. Éd. rév. Les oiseaux du Canada. Éd. Broquet, en collab. avec le Musée national des sciences naturelles. La Prairie (Québec).
  • Savage, C. 1985. Ces merveilleux oiseaux du Canada. Éd. La Presse. Montréal (Québec). Pp. 45-47.

 

Publié avec l'autorisation du ministre de l'Environnement
© Ministre des Approvisionnements et Services Canada 1973, 1984, 1990
N° de catalogue : CW69-4/23-1990F
ISBN: 0-660-13463-2
Texte: Harold C. Hanson
Révisé par R.O. Bailey, en 1989

 

 

 

 

 

 

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