Le lynx du Canada

photo d'un lynx du Canada

Trois membres de la famille des félins Felidea sont indigènes du Canada : le couguar, le lynx roux et le lynx. Tous trois ont tendance à mener une existence secrète et nocturne. Par conséquent, si la plupart des Canadiens peuvent presque d'emblée reconnaître n'importe lequel de ces félins, bien peu ont l'occasion de les voir dans leur milieu naturel. En effet, même pour celui ou celle qui a hanté les bois sa vie durant, pareille rencontre est un événement singulier qui ne s'oublie pas de sitôt.

On emploie ici le terme général de lynx pour distinguer le lynx du Canada ou loup-cervier d'Amérique du Nord Lynx canadensis de ses proches parents, soit le lynx roux Lynx rufus et le lynx d'Eurasie Lynx lynx. Ces trois espèces se ressemblent tellement que certains taxonomistes concluent que le lynx d'Eurasie, plus grand, et celui du Canada ne sont en réalité que des sous-espèces.

Les caractéristiques physiques

Le lynx a l'apparence d'un chat à la queue courte, aux longues pattes, aux grands pieds et aux oreilles terminées par une touffe de poils. Son pelage d'hiver, d'un gris léger, est quelque peu moucheté de longs jarres; le duvet est chamois, et la touffe des oreilles et le bout de la queue sont noirs. Son pelage d'été est beaucoup plus court et d'un brun sans équivoque. Il est facile à distinguer du lynx roux grâce aux caractéristiques respectives de leur queue : le bout de celle du lynx est entièrement noir alors que celle du lynx roux porte trois ou quatre étroites bandes noires, outre une tache noire sur la face dorsale tout près de l'extrémité.

Les grands pieds du lynx sont adaptés aux déplacements sur la neige, d'autant plus qu'en hiver, la plante du pied se recouvre d'un tapis de poils raides. Tout comme le lièvre d'Amérique, le lynx peut s'écarter les doigts dans la neige fraîche, agrandissant ainsi la superficie de ses "raquettes". De tous les grands prédateurs des régions septentrionales, seul le carcajou a les pieds plus grands par rapport à son poids, mais le lynx jouit de l'avantage supplémentaire de pattes plus longues. Le lynx adulte pèse de 8 à 11kg.

Le lynx a de grands yeux et de grandes oreilles et se fie à l'acuité de sa vue et de son ouïe pour chasser. Tout comme chez la plupart des félins, il a des griffes rétractiles et s'en sert pour saisir sa proie, se battre et grimper aux arbres. Son répertoire vocal est vaste comme celui du chat domestique mais le lynx miaule beaucoup plus fort.

L'aire de répartition et l'habitat

Le lynx vivait naguère dans la plupart des régions boisées du Canada (à l'exception des îles de la côte du Pacifique), en Alaska ainsi que dans les parties centrale et orientale du nord des États-Unis. Son aire de répartition longeait les montagnes Rocheuses vers le sud jusqu'au centre du Colorado. Cette vaste région, également occupée par le lièvre d'Amérique, correspond pour l'essentiel à la partie de l'Amérique du Nord recouverte par la forêt boréale.

Après 1900, la population de lynx a commencé à diminuer et en 1950, elle avait disparu des États-Unis et des vastes étendues du sud du Canada. La réduction de l'aire de répartition résulte surtout d'un piégeage excessif. Au Canada, cette tendance s'étant inversée vers 1955, le lynx avait, peu après 1960, réoccupé la plus grande partie de son ancien domaine. Cette reconquête semble s'être affermie vers 1970. Des populations clairsemées de lynx se sont de nouveau établies dans le nord du Minnesota et du Wisconsin.

Bien que généralement consideré comme un habitant des régions sauvages, le lynx s'accommode de la présence humaine avec une étonnante aisance. Par exemple, le lynx a commencé, peu après 1960, à occuper un secteur incomplètement défriché près de Rochester, dans le centre de l'Alberta, où l'on pratique la polyculture. Quelques lynx ont été abattus dans la cour de certaines fermes, mais on n'a pas entrepris de piégeage intensif pour se procurer des fourrures et l'animal est resté dans la région. Bien que le lynx ait sans aucun doute un seuil de tolérance pour ce qui est du rapport entre la superficie du couvert végétal et celle des pleins champs, il est probable que l'abondance du lièvre d'Amérique compte davantage pour lui. Parce que les lièvres préfèrent les peuplements forestiers en transition, il existe un rapport entre le nombre de lynx et l'exploitation forestière et les incendies de forêts, qui sont à l'origine de la régénération des habitats forestiers.

Le régime alimentaire et la chasse

Il ressort des études du régime alimentaire du lynx menées à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse, en Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest que le lièvre constitue plus de 75% de sa diète hivernale. Ce pourcentage peut s'accroître encore les années où le lièvre pullule. Le tétras, le campagnol, la souris et l'écureuil comptent aussi parmi ses proies, et il ne dédaigne pas la charogne provenant du bétail ou du gros gibier. L'été, son régime alimentaire, bien que plus varié, reste axé sur le lièvre. Le lynx du Canada attaque rarement des proies d'aussi grandes dimensions que le cerf et le caribou, sauf à Terre-Neuve où il est un important prédateur des faons de caribou, ce qui a entrainé la mise sur pied d'un programme de répression du lynx dans les principales aires de vêlage du caribou. Le lynx d'Eurasie, plus gros, se nourrit communément de petits ongulés -- renne, chevreuil et porte-musc -- dont il guette l'approche avant de les attaquer et de les tuer de morsures à la nuque et à la gorge. Tant en Amérique du Nord qu'en Eurasie, le lynx tue et dévore le renard.

Le lynx ne court vite que sur de petits parcours; aussi doit-il traquer sa proie ou s'embusquer. Le lièvre d'Amérique a le temps de s'échapper si le lynx ne l'a pas rejoint en moins de quatre bonds de quelque 6,5m chacun. Le félin se tient souvent à l'affût des lièvres le long des pistes fréquentées. En hiver, le lynx peut tuer un lièvre par jour ou par deux jours, selon l'abondance du gibier, mais ce rythme diminue en été alors qu'il se nourrit d'autres proies. À cause d'une attitude coopérative manifestée lors de la chasse, le nombre de prises est fonction du nombre de lynx formant un groupe. Une famille de lynx se déplace souvent en file indienne lorsque le lièvre est rare, mais elle se déploiera pour chasser aux endroits où il abonde. Ainsi, un lièvre qui a échappé à un lynx pourra être pris par un autre membre du groupe. Un lynx affamé fera son repas d'un lièvre entier; quand il a des restes, il les cache pour les manger plus tard.

Le territoire, l'écologie et les migrations

La superficie du territoire varie selon le nombre de lynx et de lièvres d'Amérique dans la région, l'étendue du couvert végétal et la saison. En Alberta, d'après l'étude des pistes d'hiver, la superficie du territoire varie entre 15 et 47km2. Sur l'île du cap Breton, des études de télémétrie ont révélé que le territoire du lynx adulte varie entre 12,3 et 18,6km2 en hiver et entre 25,6 et 32,3km2 en été. À Rochester, en Alberta, la densité hivernale a parfois quintuplé selon les années, oscillant entre 9,2km2 et 47km2 par lynx, en fonction de la variation de l'effectif. Les distances parcourues quotidiennement au Canada varient entre 0,8 et 19km.

L'organisation sociale et l'écologie du lynx sont encore mal comprises. Les mâles adultes semblent être solitaires dans une grande mesure, alors que la femelle adulte accompagne ses petits jusqu'au commencement de la saison des amours, à la fin de février ou en mars. De toute évidence, les lynx ne se fréquentent guère, bien que leurs territoires se chevauchent souvent. Cette tendance à s'isoler est comparable à celle que l'on observe chez le couguar.

Les déplacements périodiques ou "migrations" du lynx diffèrent des mouvements qui ont lieu à l'intérieur du territoire. Les afflux spectaculaires de lynx étaient familiers aux premiers pelletiers et trappeurs. Le dernier cas du genre observé avant 1962 dans des régions du Canada fortement peuplées est survenu en 1925-1926. En 1962-1963, on observa de nouveau une migration notable en provenance du Nord. Les lynx s'aventurèrent alors dans des grandes villes telles qu'Edmonton, Calgary et Winnipeg, surgirent dans les pâturages du sud de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Dakota du Nord, et pénétrèrent jusqu'en Iowa et dans le sud-ouest du Wisconsin. L'événement se répéta en 1972-1973.

Un rapport a été clairement établi entre la réduction cyclique du nombre de lièvres d'Amérique, qui tend à se produire à quelque 10 ans d'intervalle, et les migrations en masse du lynx. Puisque les populations de lynx augmentent en même temps que prolifèrent les lièvres d'Amérique, les lynx meurent de faim ou doivent émigrer lorsque les lièvres disparaissent. Qu'il n'y ait eu aucun déplacement notable de 1926 à 1962 vient probablement du bas niveau des populations de félins dans l'intervalle.

La reproduction

L'accouplement a lieu surtout en février et en mars; les petits naissent en avril et en mai, de 60 à 65 jours après la fécondation. La portée moyenne semble compter 4 rejetons, mais il y eut une femelle chez qui on trouva jusqu'à 6 foetus. Les lynx peuvent s'accoupler pour la première fois à l'âge d'un an, surtout lorsque le lièvre d'Amérique est abondant; ils se reproduisent ensuite tous les ans. Les nouveau-nés ressemblent aux chatons domestiques et sont élevés uniquement par la femelle.

Les facteurs limitants

La famine qui suit le rapide déclin cyclique du lièvre d'Amérique est probablement la principale cause de mortalité naturelle tant chez les lynx adultes que chez les petits d'un an. Le taux de mortalité peut atteindre 40%, mais on ne possède pas de données précises là-dessus. Il ressort d'études récentes que lors des périodes de 3 ou 4 ans où le lièvre est rare, les lynx se reproduisent mais leurs petits meurent avant l'hiver. On peut en déduire que la femelle adulte ne peut tout simplement pas subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses rejetons lorsque le lièvre se fait rare.

Le taux de mortalité est moins bien connu que les causes de décès. Ainsi, au Canada, le piégeage est un important facteur de mortalité; en Scandinavie et en URSS, la chasse intensive a décimé les populations de lynx. Le loup serait le principal ennemi naturel du lynx dans le nord de l'Europe, mais on ignore tout des interactions entre le lynx et le loup en Amérique du Nord. Les comptes rendus abondent sur la mort de lynx pris aux pièges à loup. La rage et le mal de Carré sont les deux maladies infectieuses les plus susceptibles de causer un taux significatif de mortalité. Malheureusement, ni le taux de leur incidence, ni l'envergure de leurs effets n'ont fait l'objet de recherches.

Les fluctuations de la population

Les populations de lynx sont réputées pour l'importance de leurs fluctuations périodiques modelées sur le cycle démographique de 10 ans du lièvre d'Amérique dans la forêt boréale. Son alimentation dépendant du lièvre, le lynx est très sensible aux variations marquées de l'abondance de celui-ci. L'historique de ces deux populations à Terre-Neuve illustre bien l'étroitesse de leur lien démographique. Le lynx y était probablement présent mais rare avant qu'on y introduise, dans les années 1870, le lièvre d'Amérique. Quelque dix ans plus tard, la densité du lièvre était forte et le lynx abondant. Les populations des deux espèces ont considérablement fluctué par la suite, mais aucune des deux n'a jamais plus été rare. Un rapport semblable joue entre le renard arctique et le lemming.

On peut retracer sur deux siècles ce cycle de 10 ans grâce aux rapports des prises de lynx de la Compagnie de la baie d'Hudson. L'ampleur des fluctuations dans les récoltes de fourrures, c'est-à-dire le nombre de peaux obtenues les bonnes années par rapport aux mauvaises, était en moyenne d'environ 70:1 au siècle dernier et de 6:1 seulement pour notre siècle. Outre ces cycles de 10 ans, la pratique du piégeage a provoqué chez le lynx des changements démographiques à long terme. Le déclin amorcé après 1900 s'est poursuivi jusque vers 1955, époque à laquelle la tendance s'est inversée. Suite à une baisse marquée du prix des fourrures, la pratique du piégeage diminua, d'où l'accroissement du nombre de lynx.

La valeur économique

Le lynx demeure l'un des animaux à fourrure les plus importants du Canada. Il est piégé partout sauf à l'Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick. Ce sont les gestionnaires de la faune qui déterminent les saisons de piégeage, et celles-ci peuvent varier d'une année à l'autre ou entre districts dans une même province.

La demande pour les peaux de lynx augmente quand les vêtements faits de fourrure à poil long sont à la mode. Il est facile de piéger cet animal; or lorsque le prix des peaux monte, les trappeurs capturent une plus grande partie de la population de lynx. Des études ont démontré qu'un piégeage intensif peut décimer la population de lynx dans une région donnée. La demande des peaux de lynx, qui se vendaient en moyenne 30$ l'unité au début des années 1970, a augmenté depuis de façon constante pour atteindre son apogée au milieu des années 1980, à plus de 500$ l'unité. Le piégeage plus intensif a réduit sensiblement les populations de lynx à de nombreux endroits au Canada, et plusieurs administrations ont imposé des restrictions sur le nombre de bêtes pouvant être capturées. Des biologistes ont recommandé d'interdire le piégeage durant les baisses cycliques de population. Certaines provinces suivent de près l'influence du piégeage sur leur population de lynx et ajustent leurs règlements pour protéger cette ressource renouvelable. Les coûts élevés de la fourrure ont aussi stimulé l'intérêt à l'égard de l'élevage, et il est possible que cette activité fournisse un jour un nombre considérable de peaux sur le marché, comme c'est le cas pour le vison et le renard.

Ouvrages à consulter

  • Banfield, A.W.F. 1977. Les mammifères du Canada. 2e éd. Musées nationaux du Canada, Presses de l'université Laval, Québec.
  • Beaudoin, L.; Quintin, M. 1983. Guide des mammifères terrestres du Québec, de l'Ontario et des Maritimes. Éditions du Nomade, Waterloo (Québec).
  • Wooding, F.H. 1984. Les mammifères sauvages du Canada. Éditions Broquet Inc. La Prairie (Québec).

 

Publié en vertu de l'autorisation du ministre de l'Environnement
Ministère des Approvisionnements et Services Canada 1977, 1984, 1991
N° de catalogue CW69-4/59-1984F
ISBN: 0-662-92506-8
Texte : L. B. Keith
Révisé par G. R. Parker, en 1983 et 1990
Photo: Ed Cesar

 

 

 

 

 

 

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