On a marché sur la Lune : les secrets de Tintin - 14/01/2011

On a marché sur la Lune a marqué la série Tintin à sa sortie en 1950 : Hergé prenait le parti farfelu de faire marcher ses héros sur notre satellite ! Ce n'est que dix-neuf ans plus tard que l'exploit fut réalisé - par un Homme.
 

Roland Lehoucq, astrophysicien au commissariat à l'énergie atomique de Saclay, est un passionné de science-fiction, c'est dire s'il maîtrise les deux termes de cette littérature pas comme les autres.

Son objectif est la vulgarisation pour le grand public, en amusant, sans renoncer le moins du monde à la rigueur scientifique. Roland Lehoucq mêle avec autant d'humour que d'habileté pédagogique son goût pour la fiction et ses connaissances scientifiques, en étudiant la célèbre BD d'Hergé sous le prisme des réalités scientifiques de notre monde.

 
La célèbre BD 
On a marché sur le Lune. © Hergé/Casterman

Ce dossier vous permettra de mieux appréhender les réalités physiques d'un voyage sur la Lune, afin de comprendre les inexactitudes de la BD, tout en vous amusant !

Hergé avait envoyé ses célèbres personnages de la BD Tintin marcher sur la Lune, pour le plus grand bonheur des lecteurs. Il est intéressant de comparer ces représentations fictives avec la réalité. 

Célèbre, la fusée rouge et blanche d'Hergé a aluni au milieu du cirque Hipparque, un des plus grands cratères lunaires. Le paysage est désertique, le ciel noir est rempli d'étoiles et la Terre brille au-dessus de l'horizon. La chaîne de montagnes visible au loin est sans doute la muraille du cirque, qui s'élève à près de 1.200 mètres au-dessus du fond. La fusée s'est posée entre deux petits cratères, au voisinage d'un escarpement rocheux qu'on aperçoit au premier plan. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le lieu choisi pour l'alunissage n'était pas particulièrement facile.
 

Pour la mission Apollo 11, la Nasa avait recherché un terrain aussi peu accidenté que possible, cartographié en détail par les sondes Lunar Orbiter lancées entre 1966 et 1967.
 


Lunar Orbiter. © Nasa
 
 

Nous sommes au moment du premier quartier lunaire. C'était en effet la phase que présentait la Lune au moment du départ, et le vol Terre-Lune n'a pas duré plus de quatre heures. Le cirque Hipparque étant situé au plein centre de la face visible de la Lune, il se trouve donc juste sur le terminateur, la limite entre l'ombre et la lumière. Cette situation correspond au début du jour lunaire. Le Soleil est bas sur l'horizon, les ombres sont longues. À noter que les visiteurs voient le Soleil plus brillant et plus blanc que depuis la Terre où l'atmosphère, qui diffuse efficacement la composante bleue de la lumière solaire, donne au ciel sa couleur mais « jaunit » le Soleil. Par ailleurs, le rayonnement ultraviolet qu'il émet parvient sans encombre jusqu'au sol alors que, sur Terre, il est bloqué presque entièrement par la couche d'ozone. L'étude de la lumière ultraviolette qui est émise par le Soleil est donc possible depuis la Lune et fait bien sûr partie du programme de travail prévu par le personnage de Tournesol. Pour se protéger de cet intense rayonnement ultraviolet, les visières des casques des promeneurs lunaires doivent absolument être traitées pour protéger leurs yeux. Ainsi, celles des astronautes des missions Apollo étaient recouvertes d'une fine feuille d'or.
 


Cirque Hipparque. © Nasa
 

 

Les représentations du paysage lunaire de la BD se trouvent faussées si l'on prend en compte les réalités de l'astronomie. Explications. 



La célèbre fusée rouge de 
On a marché sur la Lune. © Hergé/Casterman

 

L'alunissage de la fusée de Tintin intervient au début du jour lunaire. Le Soleil est bas sur l'horizon. Le paysage lunaire est donc éclairé par un Soleil en train de se lever, encore bas sur l'horizon est. La Terre est visible dans le ciel. Est-il normal de la trouver à cet endroit ?
 

Précisions d'astronomie

Pour répondre à cette question, revenons sur notre planète. La Lune nous y présente toujours la même face, dite « face visible ». La rotation de la Lune sur elle-même est en effet synchronisée avec sa révolution autour de la Terre, de sorte que le changement d'orientation de la Lune résultant de sa rotation autour de la Terre est à chaque instant compensé par sa rotation sur elle-même. Vue depuis la Lune, la Terre occupe par conséquent une position quasiment fixe dans le ciel. Cette position dépend bien sûr de la position de l'observateur lunaire. Quelle est donc la position de la Terre dans le ciel du cirque Hipparque ? Comme celui-ci est situé à proximité du centre de la face visible, la Terre se trouve au voisinage du zénith.

Elle ne devrait pas être visible sur l'image qui nous est montrée ! De plus, vue de la Lune, la Terre présente aussi des phases. Au premier quartier lunaire doit correspondre une demi-Terre, alors que l'image de la BD propose une Terre qui est représentée pleine.


Premier pas sur la Lune, grâce à la mission Apollo 11. © Nasa 
 

Un spectacle de « désolation » pour Tintin et Aldrin

Une fois que la porte extérieure de la fusée a été ouverte, Tintin est saisi par le « spectacle hallucinant » qui s'offre à sa vue. Pour le décrire, il le compare à un « paysage mort, effrayant de désolation ». Il est étonnant de constater que Buzz Aldrin, le deuxième astronaute ayant marché sur la Lune, employa l'expression « magnificent desolation » (« désolation magnifique ») pour décrire le spectacle qui s'offrait à lui.

 

Tintin est aussi frappé par la noirceur du ciel, rempli de milliers d'étoiles qui ne scintillent pas. Hergé a raison. Sur Terre, le bleu du ciel et le scintillement des étoiles sont des conséquences de la présence d'une atmosphère. Celle-ci est constamment animée de mouvements turbulents dans lesquels se mélangent des masses d'air chaud et froid de densités différentes. La propagation de la lumière est affectée par ces variations de densité, produisant ainsi de petites déflexions qui l'écartent d'une trajectoire parfaitement rectiligne. Ce sont ces légers changements de direction, fluctuant au gré des mouvements de l'atmosphère, qui provoquent le scintillement. Si Tintin regrette ce scintillement des étoiles, qui « […] de la Terre nous les fait paraître si vivantes ! », il faut bien avouer que celui-ci est le cauchemar des astronomes. En effet, le scintillement brouille les images et interdit d'accéder aux détails les plus fins des objets célestes.

 

Que faire quand, pour la première fois dans l'Histoire de l'Humanité, on débarque sur la Lune ? Le professeur Tournesol et les responsables de la Nasa se sont posé la question.
 


Tintin et ses amis ont eu deux semaines pour explorer le sol lunaire, Amstrong et Aldrin ont eu deux heures ! © Hergé/Casterman
 

Quel temps consacrer à l'émotion, aux paroles historiques, aux symboles, à la science, au tourisme ? La situation de Tintin et de ses amis, qui passent deux semaines sur la Lune, est cependant très différente de celle de Neil Armstronget de Buzz Aldrin, qui ont bénéficié de seulement deux heures de marche lunaire.
 

L'installation d'équipements
 

Les premiers équipements mis en place par Tournesol sont des instruments d'optique et des caméras. En installant un observatoire sur la Lune, le professeur compte manifestement profiter des conditions favorables à l'observation astronomique en l'absence d'une atmosphère. La possibilité de créer un observatoire lunaire a été effectivement envisagée. C'est plutôt sur la face cachée que les télescopes devaient être placés afin d'éviter la présence gênante de la Terre dans le ciel (le clair de Terre lunaire est cinquante fois plus brillant que notre clair de Lune) ; ce serait aussi l'endroit idéal pour placer des radiotélescopes qui seraient ainsi isolés du « bruit » des ondes électromagnétiques émises par les activités humaines.
 


Le 20 juillet 1969, l'Homme a marché sur la Lune. © Nasa


La priorité : collecter des roches lunaires

Les activités menées sur la Lune du 3 au 6 juin sont décrites dans le journal de bord de Tournesol. Il est étonnant qu'à aucun moment ne soit mentionnée la collecte de roches lunaires. Car le retour sur Terre de ces échantillons était une priorité absolue des missions Apollo. Glisser quelques fragments de roche dans l'une des poches de sa combinaison fut d'ailleurs la première chose que fit Armstrong, ses pieds à peine posés sur le sol lunaire. Il fallait être sûr d'avoir réalisé cette tâche prioritaire en cas de départ précipité ; ce n'est qu'ensuite qu'il a déployé l'antenne de communication. Finalement, Armstrong et Aldrin ont rapporté 21 kilogrammes d'échantillons.
 

Les observations astronomiques

Après l'installation du matériel, la journée du 4 est consacrée aux observations astronomiques. Le télescope est pointé vers les planètes les plus proches, écrit Tournesol. Ce ne serait sans doute pas la priorité d'un astronome. En revanche, l'étude des rayons cosmiques paraît nettement plus intéressante. Il s'agit de particules de haute énergie, principalement des protons et des électrons, qui arrosent la Terre en permanence mais dont la détection au sol est difficile pour deux raisons. D'abord, le champ magnétique terrestre piège les particules dont l'énergie est trop faible. Ensuite, lorsqu'une particule atteint les couches supérieures de l'atmosphère, elle interagit avec les régions traversées, créant des particules secondaires. Celles-ci peuvent à leur tour interagir avec le milieu, ce qui produit une cascade de particules résultantes.

 

L'énergie d'une particule cosmique se trouve ainsi dissipée dans l'atmosphère et répartie dans les nombreuses particules atteignant finalement le sol. Sur la Lune, l'absence d'atmosphère et de champ magnétique permet d'observer directement les rayons cosmiques. Ils sont même à l'origine d'éclairs lumineux que les astronautes des missions lunaires observèrent directement à l'intérieur de leurs yeux !
 

La mesure de la constante des radiations solaires et la détermination des limites du spectre solaire dans l'ultraviolet tirent aussi profit de l'absence d'atmosphère sur la Lune. La constante des radiations solaires ou, plus brièvement, la « constante solaire », correspond à la puissance reçue du Soleil par un mètre carré de surface terrestre. Sur Terre, l'ultraviolet est en grande partie arrêté par la couche d'ozone et l'infrarouge par les molécules d'eau et de gaz carbonique. Il faut alors effectuer diverses corrections pour estimer la constante à partir d'une mesure terrestre. Sur la Lune, l'absence d'atmosphère évite toutes ces difficultés, et la constante solaire peut être obtenue de façon précise : elle vaut en moyenne 1.340 watts par mètre carré. En moyenne seulement car, en réalité, elle n'est pas constante : elle dépend bien sûr de la distance entre la Terre et le Soleil, qui change légèrement au cours de l'année, l'orbite de la Terre n'étant pas un cercle mais une ellipse. Du coup, la « constante solaire » varie d'à peu près 3,4 % d'un extrême à l'autre.

 

L'exploration audacieuse d'une grotte lunaire par Tintin et Haddock est certainement l'un des hauts faits de la mission, car ils y découvrent des stalactites, des stalagmites et de la glace ! Est-ce bien raisonnable ?
 


Sur cette vignette, Tintin explique que les stalactites et stalagmites prouvent la présence d'eau sur la Lune... © Hergé/Casterman
 

Comme l'explique le professeur Tournesol, il n'y a pas une goutte d'eau liquide sur la Lune et la présence de concrétions calcaires est donc bien improbable… Quant à la glace, c'est une autre affaire ! S'il n'y a pas d'eau liquide sur la Lune, c'est qu'elle ne pourrait y rester bien longtemps. En effet, quand la pression diminue, la température d'ébullition diminue elle aussi. En l'absence d'atmosphère, la pression à la surface de la Lune est quasiment nulle et la chaleur du jour solaire est largement suffisante pour évaporer la moindre flaque en un rien de temps.
 

Exposée au Soleil, la glace subirait le même sort. En revanche, dans des régions abritées de la lumière solaire, comme une grotte, elle pourrait subsister un peu plus longtemps. La température y est quasiment constante, cette stabilité étant la conséquence de l'inertie thermique et de l'isolation des roches. Dans une cavité lunaire, la température atteindrait – 18 °C. Mais même à cette température la glace se sublime très vite dans le vide : les couches de glace qui ont été découvertes par Tintin auraient dû disparaître en quelques dizaines d'années.
 

Clementine détecte des indices de glace !

La cause semblait entendue quand, en 1994, la sonde américaine Clementine détecta des indices de la présence de glace dans les régions polaires. Cette observation surprenante pouvait cependant s'expliquer car, dans les régions polaires de la Lune, le Soleil est toujours très bas sur l'horizon. Une muraille de cratère, même peu élevée, peut alors maintenir une zone étendue dans une ombre permanente. La température s'abaisse en dessous de – 200 °C et la glace peut subsister plusieurs milliards d'années avant de se sublimer.


La sonde Clementine a détecté des indices de la présence de glace dans les régions polaires ! Voici une carte topographique de la Lune par cette sonde américaine. ©Nasa
 

Les observations de Clementine furent cependant contestées. Quatre ans plus tard, la sonde Lunar Prospector détecta de grandes quantités d'hydrogène autour des pôles. Si cet hydrogène est effectivement associé à de l'oxygène dans des molécules d'eau (ce qui semble probable), la masse de glace mêlée au sol pourrait atteindre plusieurs centaines de millions de tonnes. Pour tenter de confirmer cette idée de manière définitive, les responsables de Lunar Prospector se sont livrés à une expérience très spectaculaire. Au terme de la mission, ils ont précipité la sonde sur le cratère Mawson, proche du pôle lunaire sud, en espérant pouvoir détecter, depuis la Terre, la vapeur d'eau vaporisée par l'impact. Ils n'y parvinrent pas. Cela dit, la mesure était si difficile que la présence de glace sur la Lune n'a pas pour autant été remise en cause.
 


La mission Clementine. © Nasa
 

D'où peut-elle bien venir ? Sans doute des comètes ! Ces « boules de neige sale » proviennent des confins du Système solaire mais peuvent, dans certains cas, s'approcher du Soleil. Ce sont les impacts de comètes sur la Lune – événements pourtant très rares – qui expliqueraient les observations effectuées aux deux pôles lunaires. Bien sûr, sous la violence du choc, la comète est dans un premier temps volatilisée, mais dans les régions polaires très froides la vapeur d'eau pourrait reformer de la glace en se recondensant. Hergé avait donc (à moitié) raison : il y a bien de la glace sur la Lune, même s'il n'y a jamais eu d'eau liquide !

 

Pour poursuivre ce voyage dans la physique amusante, parcourez la bibliographie de l'auteur Roland Lehoucq.
 


 

 


 

 


 


 

 


 

 


 

 

 

 


 

 

 

 

 

Recherche personnalisée

Accuil